PÉRIGNAC : LÉGENDE D'ARKARA

À présent que Mercéür est désormais missionnaire, il faut songer à préparer les Arkariens au retour des anciens fautifs. C’est bien joli de demander à Kana d’éveiller ceux-ci pour qu’ils aspirent à retourner sur Arkara sauf qu’il faudra se tenir prêt à les accueillir dignement en stimulant tous les habitants de la nouvelle Arkara afin que tous participent à cette belle entreprise. La première étape consiste à révéler au peuple où se trouvent les disparus. Une nuit où les enfants veillent au « clair de Terre » sur une colline d’Atlantis, Phardate et Primus Tasal viennent leur tenir compagnie pour écouter la jolie histoire de Cendrillon, racontée avec passion par Bedondus, un gros conteur romantique. Le jeune auditoire apprend avec tristesse que Cendrillon est délaissée par ses sœurs sottes et tellement vaniteuses qu’elles exigent que la jeune fille lave le plancher pendant que celles-ci iront danser dans un grand bal. La pauvre rejetée en haillons pourra toutefois s’y rendre grâce à l’intervention d’une gentille fée qui la transformera en princesse. Toutefois, celle-ci devra quitter le château avant le dernier coup de minuit. Cendrillon rencontra alors le prince charmant qui en devient aussitôt amoureux. Mais la pauvre fille s’enfuira sous le coup de minuit, abandonnant ainsi le prince qui se languira de son absence. Cependant, en fuyant, Cendrillon perdit l’un de ses souliers qui permettra heureusement au prince de la retrouver puisqu’il l’aime malgré sa grande pauvreté. Le conteur s’arrête et laisse s’écouler quelques larmes d’émotions lorsqu’il compare cette belle histoire à cette absence des frères et sœurs que personne ne revit depuis leur déportation dans l’autre canton. Il ajoute tristement qu’ils n’ont perdu aucun soulier puisqu’ils n’en portaient pas; sans quoi, il est certain que tous les Arkariens iraient à leur recherche pour leur dire qu’ils les aiment et qu’ils souhaitent leur retour. Bedondus vient pour ainsi dire de préparer son jeune auditoire à entendre un grand secret.

Phardate sourit au conteur qui a bien joué son rôle et déclare qu’il sait où se trouvent les anciens fautifs. Tous les grands yeux candides le fixent aussitôt surtout lorsque le nain leur montre la planète Terre. Les enfants se lèvent d’un bond dès que Primus Tasal leur demande s’ils veulent apprendre à communiquer avec eux. Phardate prend alors deux enfants par la main et demande aux autres d’en faire autant afin de former un beau cercle en ne quittant pas des yeux la jolie bille bleue en silence. Puis, le miracle arriva lorsque le singe leur demanda de parler aux fautifs comme s’ils pouvaient les voir sur la planète. Alors, de petites étoiles s’élevèrent un court moment au-dessus de la Terre. Primus Tasal en fut tout excité dès qu’il ressenti tout cet amour traverser son être à un tel point que cela lui donne des picotements sous les pieds. Cela devient si intense qu’il doit même sauter en dehors de sa bille magique. Non, il ne rêve pas; des petites étoiles se sont échappées pour former un cordon lumineux autour de la bille qui s’illumine gracieusement. Encore tout étourdit, il constate que c’est bien la première fois de sa vie qu’il voit sa planète miniature reproduire ce qui vient de se réaliser sur la vraie Terre. Il est évident que l’énergie positive introduite dans sa sphère par les Grands-Maîtres de l’invisible y est pour quelque chose. Ils ont sûrement utilisé une source lumineuse capable de permettre aux Arkariens d’entrer en communication avec les fautifs sauf que les petits innocents sont convaincus d’avoir provoqué ce phénomène. Le singe n’a pas l’intention de briser leur joie candide lorsqu’il les regarde pressés de dévaler la colline afin d’aller raconter à leurs parents ce qu’ils ont vu.

À partir de ce jour, certains petits gestes du peuple démontrèrent que celui-ci espérait revoir bientôt les absents. Les Paysans prirent d’eux-mêmes l’initiative d’entretenir leurs jardins alors que les Connients jugèrent utile de laisser des petits pains devant leurs maisons ou sur leurs tables. Les enfants eux, pensent constamment aux jeunes fautifs qui apprécieront sans doute d’avoir des jouets en revenant de leur long voyage et commencent à en laisser un peu partout dans les demeures toujours vides. Bientôt, il devient impossible de distinguer les maisons habitées de celles qui ne le sont pas encore dans ce vaste village où Alba et sa secte ne sont plus là pour briser la joie candide d’un peuple en attente. Même les parterres des absents sont tellement bien entretenus que la seule chose que les Grands-Prêtres pourraient reprocher à ce zèle populaire, c’est sans doute la naïveté de ceux qui s’imaginent que l’aspect physique des fautifs sera le même qu’autrefois. Non seulement celui-ci sera différent, mais leurs langues et coutumes le seront également. En fait, on ne s’absente pas aussi longtemps de sa terre natale sans perdre l’accent du pays. Leurs expériences de vie seront très différentes mais cela ne fera qu’enrichir davantage ce monde de paix. Il est évident que les fautifs auront connu les pires misères et surtout compris l’importance de s’aimer les uns et les autres. Ils auront saisi pleinement « l’essence » de la vie et surtout pourquoi la fragilité de l’amour en fait le bien le plus précieux de l’univers. Ils sauront demeurer éveillés pour toujours préférer la simplicité de la vie plutôt que vouloir la compliquer inutilement avec toutes sortes de biens qui n’offrent pas le bonheur. Pouvoir de nouveau croquer dans les fruits du paradis, sentir l’odeur du blé, se réjouir par la simple vue d’un arc-en-ciel, parler avec ses voisins, les inviter à leurs tables, rire de tout et de rien, dormir en paix et se réveiller à chaque matin en se disant que ce jour sera encore plus beau qu’hier, c’est cela qu’ils voudront vivre à présent. Ils n’entretiendront plus de désespoir dans leur cœur mais l’amour.

La nouvelle du retour de Kana se répand comme une traînée de poudre. Des témoins affirment avoir vu celui-ci passer au-dessus du village sur le dos d’Anima. En réalité, il s’agit plutôt de son jumeau Anak qui vient à peine d’arriver sur Arkara, grâce à la licorne fantastique qui l’attendait au seuil de la mort comme l’avait promis le Maître du destin. Le problème, c’est qu’il n’est pas facile de passer d’une dimension à une autre ou encore d’un état à un autre sans être un peu confus pour un certain temps. Anak réalise à peine être revenu dans son monde. Alors, il n’est pas question pour lui de rencontrer les Arkariens avant de boire la « boisson des fées », ainsi appelée par les conteurs puisqu’il s’agit simplement d’une eau de source qui coule dans la forêt enchantée. Du fait qu’elle serpente le village des fées, Manuel prétend lui-même que cette boisson miraculeuse possède ce pouvoir de sortir les morts de leur confusion temporaire. C’est pour cela que le visiteur est conduit directement dans la forêt secrète par celle qui est évidemment autorisée à y pénétrer directement. Anima dépose son cavalier près de la source et des petites fées enjouées s’amusent à tremper leurs baguettes magiques dans l’eau et d’asperger ensuite le visage du jeune endormi. Il sourit lorsqu’il reprend ses esprits. Les fées, cette forêt baignée par des puits de lumière; vraiment, ce n’est pas un décor terrestre. Anak mentirait s’il prétendait savoir où il se trouve exactement puisqu’il n’a jamais eu l’occasion de visiter la forêt enchantée avant ce jour. Il passe des heures à l’explorer jusqu’au moment où un ourson ailé vient lui demander s’il est son ami Perlin? Anak n’y comprend rien; il se contente de sourire au petit animal amusant qui décide tout bonnement de venir s’asseoir près de lui en lui chuchotant que son odeur ressemble à celle de son ami Perlin. C’est alors que le jumeau se rappela de l’incident où il mêla son sang à celui de Mercéür. Évidemment, il réalise que Perlin est cette même personne et surtout pourquoi l’ourson se montre si amical. Anak lui explique qu’il n’est pas son ami sauf qu’il deviendra un jour son jumeau sur Terre. Mais le pauvre animal ailé est incapable de comprendre cela et se réjouit tout de même d’apprendre que son ami d’antan va sûrement revenir jouer avec lui dans l’étang comme autrefois dès qu’il en aura l’occasion. Il s’envole ensuite en laissant Anak quelque peu troublé. En effet, il n’aurait jamais osé s’imaginer pouvoir devenir un jour le jumeau d’un Olympus aussi puissant que Mercéür bien que le Maître du destin lui a confirmé cela. Loin de douter de ses propos, c’est plutôt la modestie qui l’incite à ne pas s’interroger outre mesure sur ses futures missions. Il poursuit sa visite et découvre alors l’arbre Salutor. Il est tellement fasciné par la beauté de celui-ci qu’il ose même s’en approcher. Timidement, son regard se porte bientôt sur une grosse gomme à bulle qui recouvre l’une des feuilles. Elle se trouve si près d’une autre qui porte son nom qu’une force étrange l’incite à satisfaire sa curiosité. Alors, il retire délicatement la substance pâteuse et découvre le nom qui se trouve ainsi caché sous celle-ci. Le pauvre Anak pleure d’émotion lorsqu’il réalise ce que son ami Gad a eu à faire pour pouvoir prendre la place de Samia.

Lorsqu’il se retourne, les yeux encore rougis d’émotion, Anak aperçoit alors le Maître du destin et Primus Tasal lui sourire d’un air entendu tout en gardant les bras croisés. Le garçon tente de s’agenouiller devant Manuel mais celui-ci le retient en lui précisant qu’il n’a pas à se prosterner devant lui pour prouver sa fidélité. Il le serre plutôt dans ses bras suivi par Primus Tasal et alors le Maître lui souhaite la bienvenue dans la forêt enchantée. Anak réalise que cela signifie que dorénavant il pourra y entrer aussi souvent qu’il le désire. La boisson des fées lui a fait retrouver non seulement tous les souvenirs de sa vie passée sur l’ancienne Arkara, mais également ceux sur Terre. Il se sent un peu inconfortable de se retrouver à nouveau dans son corps d’enfant et se demande surtout si le peuple arrivera à comprendre qu’il est très différent de l’enfant de jadis et qu’en fait, il était un vieillard ayant terminé sa vie en solitaire avant de revenir sur Arkara. Manuel comprend le dilemme de ce sage qui a tant de choses à enseigner aux Arkariens et craint que celui-ci ne soit pas pris au sérieux dans son physique actuel. En fait, Anak sait déjà que tous les anciens fautifs auront à témoigner de leurs expériences de leur vie terrestre pour enrichir leur perception actuelle du sens de la vie. Le singe lui dit à brûle point que l’adage du « si jeunesse savait, vieillesse pourrait ! » devrait en fait s’énoncer ainsi : « si jeunesse savait, vieillesse en douterait! » Il a déformé volontairement ce dicton dans le seul but de confirmer qu’il est plutôt rare pour un vieillard de se retrouver dans le corps d’un enfant en toute lucidité. Il ajoute d’un air taquin qu’il doit en profiter un peu avant de retourner sur Terre en empruntant la copie physique de Paichel que son ami Mercéür n’hésite d’ailleurs pas lui-même à désigner de « costume de clown! » Les rigolades du singe finissent par avoir raison de la morosité d’Anak et un rire sonore accueille la dernière remarque. Manuel lui dit en souriant qu’il possède déjà le rire qui ira fort bien avec son futur costume de clown. Cette fois, le garçon se contente d’un sourire discret.

Primus Tasal et Anak discutent un long moment en sortant de la forêt enchantée. Le singe lui demande par simple curiosité si Alba risque de s’emparer un jour ou l’autre, du miroir de vérité qui se trouve présentement sur un continent appelé Australie car c’est là que le faux Samia s’est finalement effondré de fatigue. Le jeune cavalier lui répond que bien qu’il soit utile théoriquement pour voyager dans le temps, le divisionnaire n’est pas attiré par ce trésor. Son intention serait plutôt de le détruire pour éviter que ses fidèles ne voient leur véritable nature en se regardant dans la glace. Selon l’observation d’Anak, la majorité des dévots sont des simples d’esprit qui manquent de convictions personnelles car ils n’arrivent pas à retracer leur vraie origine. Ils se sentent déchus sur Terre et jalousent le bonheur de ceux qui les entourent. Pour se rassurer et se prouver qu’ils ont raison, ils tentent de se valoriser en commettant des crimes odieux comme si cela pouvait leur procurer une satisfaction de détruire ce qu’ils n’arrivent pas à comprendre ou apprécier. Sans doute que leur vue intérieure est complètement brouillée après tout! C’est ce manque de conscience qui permet à Alba de les manipuler à sa guise et cela serait dans son intérêt que les membres de sa secte ne puissent se regarder ne serait-ce qu’une seule fois dans le miroir par crainte de découvrir au fond de leur être, une parcelle de lumière que tout être vivant possède en lui. Mais à la longue, le doute s’installe parfois lorsqu’il y a mensonge et quelques dévots se sont risqués à venir discuter clandestinement avec l’ermite; ainsi ils ont confirmé que c’est véritablement la peur qui les empêche de désobéir à leur maître et non à l’esprit du mal dont ils ne sentent pas davantage l’appel étant complètement déconnectés de toute vie intérieure, qu’elle soit positive ou négative. En fait, n’ayant aucune vision intérieure, ils sont constamment ballottés comme un bateau sans gouvernail car ils ne comprennent pas réellement les conséquences de leurs actes. Pour Anak, l’Humanité n’est pas mauvaise mais simplement immature comme un enfant. Les humains ont tendance à suivre le courant général établi par ceux qu’ils considèrent comme avisés, astucieux et sûrs d’eux; en fait, ils sont incapables pour le moment de se libérer des ficelles invisibles de la tyrannie. De là vient toute la complexité humaine, même si la majorité des hommes souhaitent dans leur cœur vivre véritablement la paix. Ils sont constamment entraînés malgré eux dans toutes sortes de conflits déclenchés par des monstres assoiffés de pouvoir.

Primus Tasal approuve d’un long signe de tête. Il savait cela depuis très longtemps, mais son ami Anak vient de lui confirmer clairement que les Terriens ne vivront jamais en paix aussi longtemps que ce fichu Alba ne cessera d’augmenter le nombre de ses fidèles. Ce qui lui fait le plus mal dans tout ça, c’est justement de savoir que tous ces dévots endormis voient dans l’action des puissants de la Terre une raison d’être, une protection et surtout s’imaginent y trouver un équilibre. Quelle illusion! Les dirigeants eux-mêmes intéressés à garder la tête hors de l’eau n’hésitent pas à détruire leur liberté, diriger leurs rêves et modeler leurs valeurs personnelles sans tenir compte du respect de la personne; en fait, ils sont utilisés et vendus comme des brebis du pouvoir. Le plus paradoxal, c’est qu’en suivant le courant, les dévots récoltent quelques miettes de prestige, d’un semblant d’admiration provoquée par la peur, et cette illusion de prendre part à cette quête du pouvoir. Ils devraient savoir qu’Alba n’estime que lui-même, ne respecte aucune valeur humaine et jouit surtout de voir une Humanité souffrante qu’il considère en plus comme imbécile. Ces inconscients s’enlisent dans cette dépendance qui les poussent à nourrir une bête qui prend chaque jour de plus en plus de force pour mieux les dévorer par la suite; la présence de nombreuses sectes sur terre en est la preuve. L’Humanité agit comme un enfant qui réclame qu’on lui prenne la main puisqu’elle a peur dans la noirceur qu’elle a elle-même choisie. Elle redoute surtout de devoir renoncer aux illusions rassurantes qu’on lui propose pour l’endormir. En fait, s’éveiller fait mal mais permet ensuite de grandir et marcher librement vers son bonheur en cessant de croire aux nombreux mensonges et promesses des puissants, comme cela arriva sur l’ancienne Arkara malgré les avertissements des Grands-Prêtres. Comment peut-il en être autrement sur Terre où personne n’est intéressé par le bonheur des plus petits; où contrairement aux dirigeants arkariens, l’hégémonie est constituée de mauvais génies qui ne savent même pas pourquoi leurs « panses » est plus grosse que leur « pense. » Peu à peu, ils ont détruit les champs de blé pour empêcher les renards de jouer avec les enfants comme sur Arkara, divisé l’amour en morceaux pour l’empêcher de briller sur le monde. Ils ont graduellement accéléré le rythme de la vie avec l’ambition dans le travail ce qui empêche les hommes de découvrir la beauté de la nature. Ils ridiculisent aussi les traditions pour que l’homme ne se reconnaisse plus nul part et oublie ses racines.

Trop ému pour continuer dans sa vision, Anak décide de s’asseoir près d’un arbre et salue son ami qui roule doucement sa boule. Absorbé, Primus Tasal essaie d’imaginer comment réagirait un Terrien qui serait transporté dans le monde du Cœur royal? Celui-ci, sans doute convaincu d’être très moderne et évolué, accepterait-il de voir la beauté et la sagesse des Connients heureux dans leurs accoutrements ridicules, les Croucounains s’enivrant du parfum des fleurs, des enfants nus comme une page blanche, les petits ponts arrondis servant uniquement à embellir les lieux? Il jugerait tout ça primitif et tenterait d’asservir le peuple arkarien, ne voulant « servir » que des rêves calculés avec profits. Pourtant, la lune est toujours là pour rêver la nuit et le soleil pour aimer la vie… Tout en se disant qu’il se répète constamment dans sa peine, le singe pleure en marchant sur sa pauvre Terre et ses larmes se déversent sur un désert. Puis, il sourit dès qu’il réalise que ses sanglots ont fait pousser une oasis. Primus Tasal disparaît ensuite dans le couloir intemporel.

Anak vit à présent dans l’ancienne hutte de Dorgon puisqu’il n’est pas encore autorisé à réintégrer la communauté arkarienne. Il faut comprendre que son retour précipité est directement lié à ses futures missions sans quoi d’autres anciens fautifs l’auraient déjà précédé sur Arkara comme Adamas et Gracia par exemple. Donc, il ne serait pas juste de lui accorder ce privilège avant l’accomplissement de ses autres missions sur Terre. Malgré tout, le Maître du destin autorise le géant Gad à venir visiter son ami qui a un grand service à lui demander. Lorsque ceux-ci se rencontrent, l’émotion et la joie de se revoir sont de la partie sauf qu’ils agissent comme s’ils ne s’étaient jamais rencontrés sur Terre. Gad conserve précieusement son secret et Anak ne veut surtout pas lui révéler qu’il a tout découvert sur son sacrifice mais garde précieusement sa gomme à bulle en souvenir. Ils discutent depuis un bon moment lorsque l’ancien vieillard demande au Connient s’il peut expliquer au peuple la raison pour laquelle il doit demeurer à l’écart au sommet de la montagne en attendant de repartir sur Terre. Gad lui promet de faire en sorte que personne ne s’étonne de son apparence physique et surtout de son manque de sociabilité. Anak lui demande s’il a toujours l’habitude de collectionner des choses et c’est en souriant que l’autre lui répond que les souvenirs prennent moins de place dans le cœur que les objets. Le géant ajoute qu’il a grandi et préfère à présent se tacher les mains en jouant avec toutes sortes de teintures. Il utilise un vocabulaire assez amusant pour dévoiler qu’il travaille comme teinturier. Il spécifie qu’il n’est pas le meilleur, mais le plus occupé par contre! Anak aime sa modestie et décide spontanément de serrer son vis-à-vis dans ses bras sauf qu’il réalise encore trop tard qu’il vit dans le corps d’un enfant lorsque Gad en profite pour le faire asseoir sur son épaule en riant de bon cœur. Anak lui demande si c’est sa façon de lui dire qu’il n’a pas grandi depuis le temps? Son ami ne répond pas et sort de la hutte pour jouer au petit galop en riant de plus belle. Le pauvre garçon se demande sérieusement comment les autres Arkariens vont pouvoir admettre son âge respectable si son meilleur ami s’amuse déjà à le taquiner?

Après le départ de Gad, la jolie licorne se pose devant la hutte et invite Anak à monter sur son dos. Ému, le garçon s’exécute sans chercher à en connaître la raison. Anima le dépose bientôt dans le bois entourant la grande pyramide en or. Phardate accueille le jeune cavalier et l’invite à venir se joindre à une très importante réunion autour de la grande table en émeraudes où s’y trouvent déjà rassemblés, Primus Tasal, Osis et Achiliam. Anak est heureux de revoir ses amis d’enfance et apprend que la petite Osis d’autrefois est devenue la Grande-Prêtresse d’un temple qui sera bientôt construit sur Terre. Achiliam, l’un des trois héros de l’enclos qui furent témoins du rude combat entre Baa-Bouk et Belle-Chimo, sera le futur contremaître d’un autre temple qui, lui, sera bâti dans le canton de Vaurec. Anak est vraiment ému de constater qu’ils sont déjà impliqués comme missionnaires. Osis explique brièvement qu’elle va œuvrer dans un temple invisible sur Terre grâce à la complicité du Maître du destin qui risque surtout de retenir la curiosité des dévots de la secte. Kana se fait très vieux et devra s’y rendre régulièrement pour y boire l’eau de la fontaine magique. De son côté, Achiliam supervisera la construction d’un autre temple encore beaucoup plus vaste destiné à recevoir les anciens fautifs lorsqu’ils reviendront progressivement sur Arkara. Il sourit à Anak en ajoutant l’importance d’un tel lieu où les arrivants pourront boire de la boisson des fées afin de les sortir de leur confusion temporaire. Il prévoit devoir impliquer des centaines d’ouvriers pour la réalisation de ce projet et d’en avoir besoin autant pour la construction d’une immense cité où les quartiers ressembleront à ceux que les fautifs habitaient sur Terre. Il est évident que la « cité de l’Accueil » sera destinée à préparer doucement le retour de ceux qui se sentiront moins dépaysés en arrivant sur Arkara.

La Grande-Prêtresse Osis explique à son tour que Kana a déjà éveillé plusieurs fautifs avec une graine de cristal qu’il sème dans leurs cœurs. Cependant, il faut un certain temps avant qu’une fleur y pousse dans l’invisible. Dès qu’elle se développe, de lointains souvenirs émergent lentement et prennent souvent la forme d’intuition. Puis, le fautif réagit davantage en fonction de ce que son cœur lui dicte et porte de plus en plus un tout autre regard sur le monde. Il devient alors essentiel de rechercher la paix en soi-même et partager la douceur, la simplicité et l’amour du prochain. Il sait qu’il a vécu dans un lieu paradisiaque où la vie s’écoulait sans crainte, sans misère, sans guerre et se pose logiquement la question : Pourquoi ai-je perdu tout cela? Lorsqu’il finit par comprendre que l’amour est libre et que personne n’a le droit d’exploiter son prochain même si ce sont de simples bibelots animés, sa fleur s’épanouit dans son jardin intérieur. Ce processus est indispensable car il serait inutile de revenir prendre sa place dans une communauté heureuse si l’on entretient toujours cette tendance à se servir des autres pour s’occuper d’une tâche aussi primordiale que d’entretenir sa fleur originelle.

Primus Tasal vient informer les trois missionnaires que Mercéür a terminé sa première mission. Malheureusement, il a découvert que les Atlantes ont finalement succombé à la tentation de manipuler un rayon extrêmement dangereux qui portait le nom évocateur de « rayon de la mort. » C’est grâce à celui-ci s’ils parvinrent à créer un couloir intemporel sauf que l’utilisation de ce puissant canon à désintégration pour une autre expérience qui, celle-là tourna à la catastrophe en provoquant l’engloutissement de l’Atlantide. Peu avant le désastre, un groupe de scientifiques empruntèrent le couloir intemporel sans remarquer la présence de plusieurs rats dans la galerie souterraine. Ils traversèrent des milliers d’années sans encombre jusqu’au moment où ils eurent la surprise de leur vie en apparaissant dans une grotte avec l’apparence des rats qui voyagèrent avec eux et le même phénomène se produisit pour les bêtes qui possédaient celle des humains. Les scientifiques échappèrent à leurs poursuivants en se cachant dans de petites crevasses. Les bêtes affamées s’entre-tuèrent et les pauvres Atlantes eurent à apprendre à vivre dans ces corps de rats. C’est ce que Paichel apprit avant de disparaître du moyen âge pour une autre aventure dans le temps. Il vit à présent à l’époque de l’Homme des cavernes dans une petite tribu néandertalienne. Rien de tel qu’une incursion dans le monde primitif pour y découvrir des valeurs que l’homme du futur aura malheureusement oubliées. Paichel ne risque pas cette fois d’y rencontrer Alba et sa secte, mais aura à composer avec une Nature à la fois sauvage et très maternelle en même temps. ( Cette aventure est racontée dans : Paichel et l’Homme de Néandertal.)

Phardate tient à réunir les nouveaux missionnaires autour de la table pour d’abord les remercier et leur annoncer ensuite que leur ami Gad a accepté d’ouvrir un atelier dans le canton de Vaurec. Il faut comprendre que cela fut difficile pour lui de quitter son village natal puisqu’il a l’impression de trahir en quelque sorte une tradition ancestrale. Il deviendra, par conséquent, le premier Connient à vivre loin des siens et le premier teinturier de ce canton encore trop peu fréquenté à son avis. Le chef des Grands-Prêtres regarde alors Anak qui démontre un air étonné en lui disant ne pas être surpris de constater que son ami ne lui a pas révélé cela au cours de sa visite. Les Connients sont d’une discrétion légendaire et si humbles de nature qu’il se demande si Gad sera heureux dans ce canton où il devra y teindre les trois voiles du futur temple de Vaurec. Phardate lui répond que c’est pour cela qu’il compte sur ses amis pour sonder son cœur à ce sujet. Le Croucounain avait évidemment d’abord songé à faire teindre les voiles dans l’actuel atelier de Gad mais ceux-ci sont tellement précieux à ses yeux qu’il ne veut prendre aucun risque de les voir se salir ou abîmer pendant leur transport à Vaurec. Il ajoute ironiquement que les glaçons magiques ne sont pas destinés à servir de solutions lorsqu’il existe une autre façon de régler une situation. À Vaurec, Gad aura un vaste atelier situé sur le bord d’une rive et à proximité d’une colline sur laquelle se dressera le temple. De plus, toutes les plantes servant à produire la teinture poussent déjà tout près de là. Phardate observe Anak du coin de l’œil et le trouve si songeur qu’il peut lire dans ses pensées. Le pauvre garçon songe tristement aux Atlantes qui ont raté l’occasion unique de faire profiter l’humanité de leurs sciences. Il les avait prévenus mais trop tard semble-t-il car Alba possédait déjà trop d’influence pour qu’on respecte l’opinion du sage Anakilimon.

Une nuée de jolies bulles lumineuses envahit le ciel arkarien et aussitôt de jeunes enfants qui n’ont encore jamais vu les Luminatisiens les suivent, prenant ceux-ci pour des ballons magiques. Ils tendent leurs bras vers le ciel et sans hésiter quelques bulles jouent le jeu et viennent se poser devant eux afin de se laisser saisir par leurs nouveaux amis qui arrivent facilement à les soulever pour ensuite les faire rebondir sur le sol comme de véritables ballons. D’autres petits Paysans et Connients qui veulent jouer au jeu de Primus Tasal se juchent sur les bulles et tentent de s’y maintenir en équilibre avec plus ou moins de succès. Il semble que les ballons magiques sont très résistants malgré les apparences. L’attitude des Luminatisiens surprend énormément les parents qui les ont toujours considéré comme les puissants Maîtres initiateurs de Dorgon. Ils se demandent pourquoi ceux-ci acceptent de se laisser manipuler comme des jouets et Phardate assistant à la scène en riant s’empresse aussitôt de répondre que ces Maîtres veulent simplement devenir la « joie » et non les jouets des enfants. Certains petits futés osent même se jeter à plat ventre sur leurs « ballons » qui les promènent lentement à quelques centimètres du sol. Le chef des Grands-Prêtres n’est pas surpris lorsque l’un de ses confrères décide de prendre part aux jeux. Minote de son nom, est pourtant un architecte reconnu et un sage homme malgré son caractère enjoué. Phardate lui a demandé de dessiner les plans du futur temple de Vaurec qui aura l’aspect d’un observatoire puisque sa voûte pourra s’ouvrir pour admirer les étoiles. Il faut dire que les Arkariens aiment tellement admirer le firmament qu’ils ne manquent aucune occasion de bâtir des immeubles où les habitants peuvent regarder le ciel. Souvent, on voit des jolies terrasses sur les toits ou encore des plafonds transparents. Pour en revenir aux bulles, l’arrivée des Luminatisiens donne lieu à une véritable fête. Phardate apprend d’un ballon lumineux que les conflits sont enfin terminés entre les Luminatisiens sauf que certains réfractaires n’ont jamais voulu s’y associer; ils vivent en nomades dans le vaste cosmos. La bulle ajoute que l’ensemble de ses semblables vivent à présent à seulement six années lumière d’Arkara. Le nain lui répond ironiquement qu’ils sont presque voisins maintenant! Il est vrai que la distance n’a aucune importance pour ces génies mathématiciens qui tiennent absolument à venir jouer aux ballons avec les enfants. Pour eux, il est plus important de faire le bonheur de leurs jeunes « z’héros » que d’être perçu comme un grand chiffre « zéro » inconnu dans l’univers.

Si les Luminatisiens voyagent un peu partout dans l’univers, Mercéür en fait autant à travers les époques terrestres. Il vient à peine de quitter les Hommes de cavernes. Celui-ci prévoit venir se reposer dans la forêt enchantée sauf que le couloir intemporel le conduit sur un îlot fort étrange situé quelque part entre Arkara et Féerie. Évidemment, Féerie n’est pas une planète mais plutôt le pays de l’imaginaire. Donc, il se peut fort bien que cet îlot se trouve dans le monde de la pensée tout simplement. Quoi qu’il en soit, le missionnaire y rencontre le Grand-Maître Lemu qui le félicite d’en avoir mis plein la vue aux espions d’Alba dans sa première mission au moyen âge. Grâce à lui, sa réputation d’insensé est déjà reconnue! Le missionnaire ne sait plus s’il doit s’en plaindre ou s’en réjouir. Lemu comprend son sentiment mitigé et l’invite à visiter cet îlot dont ils en font rapidement le tour puisqu’il est un simple désert. Le Grand-Maître tente ainsi de lui faire prendre conscience de ses véritables pouvoirs comme Olympus en lui demandant de transformer ce désert en véritable paradis de ses « plus beaux souvenirs. » Pas tout à fait convaincu, Mercéür ferme alors les yeux et le Maître lumineux se joint les mains en admirant des cavernes qui apparaissent une à une, une rivière émerge ensuite et devant celle-ci, on voit se dessiner la forme de Néandertaliens qui tannent calmement des peaux de Mammouths. Plus loin, un village médiéval prend forme comme par enchantement et même le petit château qui fut celui de Paichel lors de sa mission au moyen âge. La mémoire prodigieuse de l’Olympus est tellement précise qu’on pourrait la comparer à une caméra qui ne laisse aucun détail au hasard. Dans sa lancée, Mercéür fait bientôt apparaître la cathédrale de Chartres et même celle de Paris. Au fur et à mesure que les souvenirs du missionnaire peuplent cet îlot, celui-ci s’étend à vue d’œil. Lorsque Mercéür ouvre finalement les yeux, il sourit en voyant son album vivant s’animer. Les êtres et les choses semblent tellement réels que même un visiteur s’y laisserait prendre par cette illusion. Lemu et le missionnaire se promènent joyeusement dans le village et des gens saluent joyeusement celui qu’ils appellent « seigneur Paichel » et lorsqu’ils passent devant des Néandertaliens, le missionnaire se fait appeler « Fiou-Fiou » par ceux-ci. C’est le nom qu’ils lui ont donné et celui-ci fait évidemment partie des beaux souvenirs qu’il désire conserver à tout jamais sur son îlot magique. Le Maître lumineux rit de bon cœur en passant devant une sorte de montagne en fromage. Des rats joyeux s’amusent à en extraire la précieuse nourriture qu’ils transportent dans leurs gueules en saluant le missionnaire d’un signe de tête. Mais un rat dépose cérémonieusement son butin devant lui avant de souhaiter le bonjour à celui qu’il considère comme le « seigneur des bêtes. » Il est évident que Mercéür est très heureux parmi ses souvenirs. Il dit tout de même à Lemu que personne ne le croirait sur Terre s’il prétendait posséder une excellente mémoire!

Mercéür ne pourra cependant s’attarder bien longtemps sur son îlot intemporel puisque le Maître de l’invisible lui demande tout bonnement de retourner sur Terre pour effectuer une autre mission. Le missionnaire se retrouve aussitôt dans le couloir magique et apparaît à l’époque où l’Atlantide existe encore sauf que la première partie de son aventure va s’accomplir sur le continent australien. Il doit tenter de raisonner un singe féroce qui impose un véritable système de terreur depuis qu’il détient le précieux coffre d’Anakilimon. Toutefois, ce n’est pas Paichel qui pourrait mettre un terme au règne du dictateur, mais plutôt Anak à cause de son expérience comme dirigeant de la cité de Mu et possesseur du fameux coffre pendant longtemps. La véritable mission de Paichel va, encore une fois, paraître complètement insensée et pourtant logique lorsqu’on peut voyager dans le temps. En effet, le missionnaire se retrouvera en Atlantide pour tenter de convaincre Atlantin de ne plus faire creuser des galeries souterraines qui risquent de détruire la presqu’île. Atlantin est non seulement un architecte très reconnu mais également le fils de Mercéür. Le missionnaire se souvient de tout lorsqu’il reçoit ses missions, mais rien ne dit que son ancien fils sera disposé à croire cette réalité farfelue surtout si l’on tient compte qu’il verra apparaître devant lui un homme qui pourrait facilement passer pour son fils. Atlantin lui, est devenu très vieux et surtout trop méfiant pour croire facilement ce missionnaire qui n’a même pas les oreilles « pointues » comme les Atlantes. L’aventure est racontée dans : Paichel et le trésor d’Anakilimon)

Dans sa hutte, Anak reçoit la visite de Primus Tasal qui vient lui apprendre qu’il doit se préparer à accomplir sa première mission dans la peau de ce sacré Paichel! Il faudra évidemment lui emprunter son apparence puisque le Maître du temps n’acceptera jamais de le laisser vivre sur Terre en chair et en os s’il ne vient pas au monde comme évidemment tout le monde…ou presque! Il a fait une exception pour un Olympus. Donc, il faut tromper la vigilance de Chronos en devenant simplement le double de Paichel. Pour se faire, son Entité n’aura qu’à traverser le corps du missionnaire pendant son sommeil. Il est important que Paichel ignore qu’il aura un sosie pour le moment. Le singe avertit Anak que son coffre est entre les mains d’une tribu de singes féroces qui ne sont pas encore assez évolués pour posséder un tel trésor. Leur chef s’imagine offrir des victimes au monstre qu’il croit apercevoir au fond du coffre. En réalité, il a simplement vu sa véritable nature en se mirant sauf qu’il est convaincu d’avoir eu devant les yeux, un singe avec d’énormes crocs. Depuis ce jour, décidé de faire d’une pierre deux coups, il se débarrasse de ceux qui pourraient nuire à son autorité en prétendant rendre des sacrifices au monstre du coffre. Cependant, ce qu’il ignore encore, c’est que ses victimes traversent simplement le miroir magique et se retrouvent dans une autre époque sans plus.

Primus Tasal désire apporter des précisions concernant les Atlantes. Son ami Anak semble s’imaginer qu’ils ont complètement raté l’occasion de contribuer à l’évolution des Terriens. Il a raison en ce qui concerne les scientifiques de Mu qui commirent des erreurs monumentales dont le résultat final se traduisit par la destruction du continent. Par contre, plusieurs autres colonies atlantes voyagèrent un peu partout à travers le monde et ne furent jamais perçus comme des envahisseurs par les civilisations de l’époque. Ils furent considérés comme des dieux par ceux qui héritèrent de leurs nombreuses connaissances scientifiques et surtout agricoles. Le plus amusant précise le singe, c’est d’apprendre que les Atlantes ont apporté de leur planète des graines de maïs pour les semer sur Terre où ces peuples ignoraient encore cet aliment et ce sont des graines de maïs issus de la Terre qu’il sema lui-même jadis sur Arkara où les Paysans ignoraient également ce même légume. Alors, qui pourra dire si le maïs est originaire de la Terre ou d’Arkara? Il ironise en disant que cela fait sans doute partie du même mystère comme de savoir si c’est l’œuf qui vient de la poule ou c’est plutôt la poule qui vient de l’œuf?

Primus Tasal montre à son ami où se trouve l’Amérique sur sa planète miniature et dit que ces colonies atlantes ont vécu en Amérique du Sud et surtout à l’extrême nord du continent sur une terre qui s’appellera un jour « Greenland » puisqu’à cette époque, existait une immense forêt de conifères peuplée par des singes. C’était du moins ce que crurent les explorateurs venus de l’Atlantide lorsqu’ils les rencontrèrent pour la première fois. Ils constatèrent rapidement que les « Bananutes », « Ba-Na-Nutes » ou encore les « Abba-Natis » parlaient en fait, une langue très riche en vocabulaire. Ils réalisèrent surtout qu’ils n’habitaient pas dans les arbres mais plutôt dans des villages trop impressionnants en architecture pour douter dorénavant de leur évolution. Les Bananutes étaient issus d’une race intermédiaire entre le singe et l’homme. Très vite, ils devinrent les élèves des Atlantes lorsque ceux-ci décidèrent de s’établir non loin de là dans une région où s’y trouvait le plus beau gisement de cristal au monde et à leur grande surprise, des fragments de leur ancienne planète.

Anak se demande où Primus Tasal veut en venir jusqu’au moment où celui-ci lui dit qu’il vivra un jour une situation dans l’une de ses missions où il devra faire un choix très difficile. Son intervention aura comme conséquence de permettre justement à cette race inconnue de créer un jour une jolie planète miniature. Le garçon réalise alors que Primus Tasal vient de lui révéler indirectement qu’il est le descendant des Bananutes. Personne avant Anak n’a reçu de telles confidences. Tout de même, le futur missionnaire aimerait bien savoir en quoi son intervention aura un lien direct avec l’existence même de Primus Tasal dans le temps? Le singe lui répond évasivement qu’il le considère en quelque sorte comme le protecteur de ses premiers ancêtres. Anak comprend qu’il va un jour accomplir une mission qui le projettera fort loin dans le temps terrestre pour y devenir, à son grand étonnement d’ailleurs, le protecteur d’une race qui logiquement n’existerait pas sans lui. Cela le dépasse et pourtant, il sait que rien n’est impossible lorsqu’on voyage dans le temps. Anak quitte ensuite le singe et disparaît dans le couloir lumineux qui le conduit évidemment en Australie. Il possède alors l’apparence du fantôme d’Anakilimon. ( Cette aventure est racontée dans : Paichel et le trésor d’Anakilimon)

Anima retourne dans la forêt enchantée en attendant le retour de son cavalier. Manuel lui sourit en disant que si Alba entretenait le moindre doute concernant le manque de maturité de Mercéür, il se réjouira sûrement d’apprendre que les Maîtres de l’invisible doivent lui fournir un sosie pour l’aider dans ses missions. Le plan de Primus Tasal fonctionne comme prévu et le divisionnaire fera un pas de plus vers sa chute. Le Maître du destin ajoute que son frère Ba-Fon va naître dans quelques jours et qu’il faudra l’aider à perdre cette crainte d’être comparé à Baa-Bouk. Cette bête n’était pas son frère mais un monstre qui le tenait en otage en refusant de le laisser naître. Malheureusement, lorsque le peuple connaîtra les origines de Ba-Fon, il aura comme premier réflexe de le prendre pour Baa-Bouk jusqu’au moment où l’amour exceptionnel de l’Enfant de la lumière saura apaiser toutes les craintes. Par prudence cependant, il faudra que son frère vive un certain temps retiré dans le canton de Vaurec avant de se faire connaître à Atlantis. Il lui faudra aussi un père adoptif pour l’éduquer sagement et surtout simplement en lui enseignant l’amour et le respect de la nature et de tous êtres vivants. C’est pour cela que le teinturier ignore encore pourquoi Phardate tenait tant à le convaincre d’aller vivre à Vaurec. C’est qu’il devra jouer son rôle de paternel et ce, même s’il est loin de s’en douter pour le moment! Manuel rit de bon cœur en caressant le front de la jolie licorne. Au même instant apparaît Lemu qui le salue respectueusement et adresse un beau sourire à la licorne en la remerciant de procurer à son nouveau cavalier autant de joie que lorsqu’elle était l’accompagnatrice de Kana. Puis, il dit à Manuel que son idée de créer cet îlot intemporel afin de permettre à son frère d’exercer son talent naturel a donné des résultats remarquables. Doté d’une mémoire aussi prodigieuse, il croit que ce dernier acceptera de recréer les nombreux quartiers qui accueilleront les fautifs à leur retour. Le Maître lumineux parle ensuite à l’oreille du Maître du destin et l’autre lui répond en riant qu’il ne s’attendait pas à autant de perfectionnisme de la part de son frérot. Lemu vient de lui apprendre en riant qu’il a vu un chien lever la patte devant un réverbère pendant qu’il se promenait dans un vieux quartier de Paris en compagnie du missionnaire. Il faut croire que ce souvenir « vivant » était demeuré dans la mémoire de Mercéür lorsqu’il aimait mendier dans un quartier du moyen âge! Il faut tout de même admettre que les futurs habitants de la cité de l’Accueil ne croiront jamais quelqu’un s’il s’avise d’accuser Mercéür de manquer de mémoire. Mais Manuel ne veut pas que son frère réalise seul cette immense cité puisqu’il tient surtout à voir le peuple s’impliquer dans toutes sortes de projets communautaires. De plus, il est aussi à prévoir que la population augmentera avec le retour des fautifs. Donc seul un projet aussi grandiose que la construction d’une cité cosmopolite dans l’ancienne vallée noire sera l’occasion idéale d’y attirer des ouvriers et la famille des pionniers dans le canton de Vaurec.

Un énorme croc sort du lac salé et retombe avec fracas sur le bord de l’eau. Puis, une corne pointue en fait autant sous le regard apeuré d’un étudiant qui se promène devant l’ancien enclos de Baa-Bouk. Il s’empresse aussitôt d’aller rapporter ce qu’il a vu à un Grand-Prêtre qui lui sourit alors comme si c’était une bonne nouvelle pour lui. Encore troublé par ce qu’il vient de découvrir, le pauvre étudiant le regarde s’éloigner joyeusement. Le fait est que malheureusement le religieux n’a pas le droit de lui révéler que Ba-Fon vient simplement d’indiquer qu’il est sur le point de sortir de l’eau. Un peu plus tard, Phardate et Minote attendent sagement près de l’immense statue représentant les deux monstres pendant que leurs confrères trouvent toutes sortes de prétextes pour éloigner des passants qui viennent se promener près du lac. Puisque le futur architecte du temple de Vaurec y sera également le Superviseur de ce canton, il est essentiel que le Grand-Prêtre Minote soit en compagnie de Phardate pour accueillir l’Enfant de la lumière. Des sillons se dessinent déjà à la surface de l’eau et bientôt une forme semble nager lentement en direction du rivage. Les témoins sourient en voyant un enfant poser ses petites mains sur une sorte de poutre qui protège les marcheurs contre une chute accidentelle dans le lac. Phardate saisit délicatement l’une des mains de celui qui semble si timide qu’il n’ose même pas relever la tête pour examiner les étrangers. Minote aide le Croucounain à sortir le garçon de l’eau et lorsque celui-ci ose enfin montrer son visage, Minote ne peut s’empêcher de s’agenouiller devant lui. Jamais dans sa vie, il n’a vu des yeux aussi purs et surtout si brillants qu’il sait maintenant pourquoi Ba-Fon portera le surnom de l’ « Enfant de la lumière »! Mais déjà le pauvre enfant qui le voit fléchir les genoux trouve normal d’en faire autant comme s’il s’agissait d’une sorte de geste protocolaire sans plus. Il s’agenouille devant Minote et l’autre cherche aussitôt à se relever pour de nouveau s’agenouiller alors que Ba-Fon rit de bon cœur en trouvant finalement ce jeu très amusant. Une telle candeur dans son rire suffit à rassurer le religieux qui se fait tout de même demander par le nain s’il a choisi ce moment merveilleux pour faire ses exercices de gymnastique? Phardate craint évidemment que le zèle respectueux de son compagnon attire inutilement l’attention. Ba-Fon sourit en disant qu’il a suivi les recommandations de sa Mère lorsqu’il a eu faim en mangeant la fleur qui se trouvait au collier de la dragonne. Il indique aussi qu’après s’être nourri de la fleur lumineuse, il a aussitôt compris quelle était sa nature originelle. Toutefois, il avoue également avoir passé tellement de millénaires dans la tête du monstre qu’il lui faudra un certain temps avant de s’habituer à l’idée qu’il n’est pas celui-ci. Le jeune Olympus veut ainsi préciser que son œuf a peut-être perçu malgré lui des impressions d’appartenances à la bête.

Il faut comprendre que Ba-Fon s’est retrouvé un jour dans la gueule de ce monstre avant de pouvoir naître dans son monde originel. À l’époque, Baa-Bouk était simplement le gardien du royaume des Olympus et avait pour tâche d’empêcher les Entités primaires d’y entrer. Ces formes primitives essayaient désespérément de s’introduire dans le monde originel dans l’unique but de pouvoir ensuite exister dans la matière puisque tout ce qui prend forme dans ce royaume va fatalement se réaliser dans la Création. Ainsi, ces intrus qui n’étaient pas encore destinés à entrer dans le plan de l’évolution sont tout de même parvenus à se frayer un chemin dans ce monde quitte à en briser l’équilibre. Mais Baa-Bouk les laissa volontairement envahir le territoire olympien en espérant pouvoir plonger ce monde dans le chaos où lui-même en fut tiré par les Olympus lorsqu’ils voulurent un puissant gardien à la porte de leur royaume. C’est pour cela qu’ils le dotèrent de terribles pouvoirs capables de vaincre toutes les forces primaires qui voudraient s’introduire dans le monde originel. Baa-Bouk comprit assez vite qu’il était devenu le Maître du monde chaotique, des forces primaires et sauvages. Cela le rendit vraiment orgueilleux et surtout trop ambitieux pour accepter de n’être que le gardien du royaume olympien. Il laissa donc les envahisseurs mêler leurs énergies primaires à toutes sortes de formes existantes pour les rendre complètement méconnaissables. C’était exactement comme si une maladie s’attaquait à ce monde originel. Il va sans dire que les Olympus voulurent retourner ce gardien dans le néant sauf que celui-ci profita du chaos temporaire provoqué par les Entités primaires pour gober un œuf dans lequel s’y trouvait Ba-Fon. Pour bien faire comprendre aux Olympus qu’il détenait justement l’héritier du royaume de la Mère Lumière, il rendit sa tête transparente pour laisser voir le jeune embryon. Personne n’osa l’empêcher de fuir en emportant son prisonnier. Il est dit que Baa-Bouk possédait une tête ressemblant à un fœtus humain sauf que celle-ci masquait simplement sa véritable nature animale. Le monstre savait que les Luminatisiens et les Djinardiens se seraient méfiés de sa tête originelle et les trompa alors en conservant temporairement un aspect moins menaçant jusqu’au moment précis où il décida de reprendre son « naturel » pour vaincre facilement les pauvres Connients apeurés.

Voyant la gêne de l’héritier de la Mère Lumière, Phardate le rassure en lui disant que ses yeux ne tromperaient personne sur sa véritable nature. À son tour, pour l’accueillir dignement, le Cœur royal fait pleuvoir des jolies roses sur son frère ébahi par un tel gage d’amour, car ce geste symbolique établit que ce dernier reconnaît en lui celui qui devait gouverner le monde par ses pouvoirs d’amour infini. Si Baa-Bouk n’avait pas semé ce désordre, tout ce qui naît dans la matière ne vivrait que pour aimer, tout comme Ba-Fon. Celui-ci finit par sourire en apercevant les centaines d’animaux le suivre comme un troupeau. De plus, lorsque l’enfant passe devant des fleurs ou des arbres, ces derniers s’inclinent sur son passage. Décidément, le chef des Grands-Prêtres se demande sérieusement s’il va pouvoir convaincre Gad de s’occuper d’un simple orphelin si la Nature s’en mêle en se prosternant devant l’enfant? Il sait que Ba-Fon est encore trop jeune pour prendre conscience de tous les pouvoirs qu’il possède. C’est pour cela qu’il lui faut un guide pour apprendre à garder son humilité devant toute chose malgré tout. Le Maître du destin intervient discrètement en écrivant dans son livre magique : « S’il est vrai que la Nature s’incline devant le Maître amoureux, celle-ci ne voudra pas compromettre sa mission et sera discrète. » L’instant d’après, les animaux cessent de suivre le garçon et retournent dans la nature. Puis, les fleurs et les arbres se montreront tout aussi discrets en cessant de s’incliner devant lui. Pour traverser secrètement entre les deux cantons, Phardate préfère utiliser son glaçon magique. Ils arrivent alors près du temple en construction et Achiliam demande aussitôt à Minote de lui expliquer comment prévoit-il faire tenir les trois immenses voiles d’entrée s’il n’a prévu aucune poutre, ni crochet pour les maintenir en place? Préférant laisser l’architecte s’expliquer avec son contremaître, Phardate décide de conduire immédiatement le jeune orphelin à l’atelier de Gad. Celui-ci est absent mais Ba-Fon semble émerveillé par les nombreux tapis, couvres-lit et même plusieurs vêtements accrochés aux murs et fraîchement teints dans une gamme de couleurs. Nos deux visiteurs s’amusent à observer un gros chaudron laissé dans le foyer rempli d’une teinture verte qui mijote encore. Lorsque le géant entre le sourire aux lèvres, il blague malicieusement en indiquant que les bulles aiment bien se coller sur le nez de celui qui se tient trop près de la marmite. Il voit alors le bambin lui sourire et lui demander naïvement si les bulles de couleur aiment également se coller sur les mains et les bras? Le teinturier cache aussitôt ses mains derrière le dos en répondant que ces taches tenaces sont malheureusement la preuve que ses teintures résistent très bien au nettoyage!

Phardate en profite pour demander au teinturier si cela lui plairait d’avoir un jeune apprenti pour le seconder dans son travail? Gad lui répond qu’il se débrouille très bien sans aide. Devant cette réponse inattendue, le Croucounain se gratte la barbe un moment et lui demande cette fois s’il aimerait s’occuper d’un jeune orphelin? Le géant fixe l’enfant dans les yeux un moment et réplique que la mère de cet enfant devait sûrement être une fée merveilleuse pour lui léguer d’aussi beaux yeux. Le nain s’empresse aussitôt de préciser que son jeune protégé les a peut-être hérité de son père, qui sait! Le Connient rit de bon cœur en répondant qu’il a vu cela dans le regard de cet enfant et maintient qu’il ne se trompe pas. Il pose ensuite son énorme main sur la tête du bambin avant de lui déclarer qu’il ne lui demandera jamais s’il est Arkarien. Le pauvre Grand-Prêtre bafouille un peu en prétendant que les parents de celui-ci habitaient dans un joli village que les Connients et Paysans n’ont jamais encore visité. Il lui demande si Kana lui a déjà parlé de ce village rempli de perles géantes? Gad opine de la tête. Il fait quelques pas devant lui, saisit une grosse cuillère et brasse un moment la teinture avant de répondre qu’il se souvient surtout que Kana lui a mentionné qu’aucun enfant ne jouait dans ce village. Le Grand-Prêtre préfère ne pas s’enliser davantage dans de pieux mensonges et se contente de soupirer timidement. Gad sourit alors à l’orphelin et lui demande s’il désirerait devenir son apprenti? Ba-Fon répond aussitôt d’un large signe de tête. Le Connient lui demande ensuite s’il accepterait de vivre avec lui et la réponse est la même. Alors le teinturier dit à son ami qu’il va prendre son protégé chez lui puisque le petit géant désire devenir son apprenti. Phardate rit aussitôt en disant que le garçon porte un nom. Puisqu’il veut prouver à Ba-Fon qu’un Connient est discret de nature, il s’amuse à demander au teinturier s’il veut au moins connaître le nom de celui qui va vivre tous les jours en sa compagnie? Gad hausse les épaules en répondant que lorsqu’il était jeune, il s’appelait petit géant et lorsqu’il fut adulte, on cessa de l’appeler ainsi. Il n’y a que les Paysans qui s’amusent à donner des noms aux Connients. Dans son village, on ne peut parler d’un autre en son absence puisque personne ne saura de qui l’on parle à moins de pouvoir le désigner du doigt. Mieux encore, celui qui se retourne pour ne pas qu’on lui adresse la parole ne se fera jamais parler dans le dos non plus. Ba-Fon trouve le teinturier fort sympathique et surtout amusant dans sa façon de raconter les choses. Phardate conclut tout de même que le petit géant s’appelle Ba-Fon.

L’enfant fixe le géant, excité à l’idée de faire de grandes expériences. Alors, le Connient conduit son jeune apprenti à l’extérieur et lui montre une énorme cruche en demandant à celui-ci de la remplir jusqu’au bord avec de l’eau. Le garçon part sans attendre vers la rive, cueille un peu d’eau au creux de ses mains et vient les ouvrir au-dessus de la grosse jarre pour ensuite refaire le même trajet plusieurs fois. Sa patience semble être sans limite et Phardate suggère au teinturier d’offrir au moins une petite chaudière au garçon. Mais Gad se croise les bras en disant qu’il va attendre que son apprenti se fatigue au point de lui demander comment s’y prendre pour remplir la grosse cruche plus rapidement. Le pauvre géant reste un bon moment près de la jarre à observer l’orphelin lui sourire patiemment chaque fois qu’il laisse tomber un peu d’eau dans celle-ci et repart à la hâte comme si cela allait de soi de ne pas s’inquiéter du temps qu’il faudra pour la remplir. Le géant regarde furtivement dans la cruche et se décide à intervenir avant de devoir passer la semaine à regarder son apprenti travailler. Il se résigne donc à placer la grosse jarre sur son épaule et va lui-même la remplir pendant que Ba-Fon s’excuse timidement de n’être pas assez grand et aussi fort que lui pour travailler aussi vite. Phardate retient son rire et préfère laisser seuls le nouveau père adoptif et son fils qui arriveront évidemment fort bien à se débrouiller sans lui. Il sort son glaçon magique et disparaît comme par enchantement. Le soir venu, Gad et Ba-Fon parlent peu pendant la veillée devant le foyer. Le géant mâche sa gomme et le bambin lui demande naïvement s’il a de la difficulté à avaler la nourriture qu’il mastique depuis son arrivée? Le Connient retient son rire et préfère retirer la grosse gomme de sa bouche pour la séparer en deux avant d’en offrir un bout au garçon en précisant qu’il lui sera plus facile de la mâcher si elle est déjà mastiquée! L’enfant s’amuse à mâcher un bon moment lorsqu’il semble attiré par la jolie licorne sculptée qui trône au-dessus du foyer. Le géant se lève doucement et saisit délicatement le jouet en murmurant d’une voix émue que cette licorne fut réalisée par Kana peu de temps avant la déportation des fautifs. Il en a hérité et tient à le lui offrir puisque c’est normal de donner des jouets à un enfant. Il dépose alors la licorne devant le bambin et s’amuse à la faire bercer en lui disant que Kana s’est servi du modèle de son berceau qu’il avait reçu de Dorgon pour imaginer une licorne qui se bercerait. Ému, Ba-Fon réalise fort bien que le teinturier vient de lui offrir un présent extrêmement précieux à ses yeux.

La présence de Ba-Fon dans le canton suscite quelques commentaires de la part des vingt familles qui vivent là depuis le début de la construction du temple de Vaurec. Fait étonnant, le garçon fait rapidement la conquête de tous; il est si jovial, charmant, intelligent et travaillant qu’il se fait vite accepter comme le « fils inconnu de son père. » Une rumeur voulant que le Connient ait quitté son village ancestral pour vivre ailleurs avec son fils expliquerait selon certains la véritable raison de son départ. Personne ne le juge, surtout depuis que le contremaître du temple est convaincu que le pauvre Gad n’a pas reconnu son fils lorsque celui-ci lui fut confié par Phardate. Sans doute a-t-il perdu celle qu’il aimait pour que sa mémoire refuse de lui révéler qu’il a eu un fils d’elle? Tous les habitants du canton trouvent cela si triste qu’ils ne veulent surtout pas contredire Gad lorsqu’il présente toujours Ba-Fon comme son apprenti. Puis, les gens admirent ce fils qui accepte de vivre avec un père qui a oublié son lien de parenté avec lui. Le teinturier ignore évidemment qu’il passe déjà pour le père naturel de Ba-Fon. Même le Grand-Prêtre Minote semble donner raison à cette hypothèse lorsqu’il demande aux familles d’oublier ce qu’elles pensent savoir sur Gad et surtout de ne pas chercher à connaître l’origine de son apprenti. Il dit vrai sauf que les gens s’imaginent qu’il veut simplement leur demander de ne pas révéler ce qu’ils savent au teinturier.

Les mois passent sans histoire mais un matin le teinturier entend hurler son apprenti dans l’atelier et s’empresse d’ouvrir la porte pour trouver, d’un air amusé, le garçon assis dans un coin, se cachant le visage de ses mains en pleurant. En effet, le pauvre enfant vient de renverser accidentellement une chaudière de teinture noire sur lui et croit sans doute que le géant va lui reprocher sa maladresse. Gad rit de bon cœur en lui disant qu’il a besoin d’un bon bain rapidement avant que cette teinture ne s’introduise dans la peau. Mais Ba-Fon figé, refuse de se lever et semble même plongé dans une sorte d’hystérie. Il crie qu’il n’est pas Baa-Bouk même s’il est noir comme lui. Fort troublé par l’étrange propos que tient son jeune apprenti, le teinturier s’empresse de le saisir par un bras et le relève sans ménagement en emportant une brosse et du savon. Il traîne le jeune récalcitrant jusqu’au bord de la rivière et le lave rapidement en se demandant si cette teinture est trop forte pour ainsi troubler la raison de cet enfant. Finalement le garçon se calme, pleure à chaudes larmes en se traitant lui-même de mauvais élève. Gad le saisit dans ses bras et lui chante une mélodie pour lui faire comprendre qu’il a déjà oublié cela. Il offre même l’un de ses vêtements au garçon en lui faisant la remarque qu’il se peut qu’il soit un peu trop ample pour lui. En effet, l’enfant semble porter une toge blanche qui lui donne belle allure. Gad lui dit qu’il devrait se promener un peu pendant qu’il va nettoyer l’atelier.

Ba-Fon se rend au temple et raconte à Minote ce qu’il a éprouvé en voyant cette teinture noire sur lui et surtout de l’inquiétude qu’il a semée dans l’esprit de Gad en lui disant qu’il n’était pas Baa-Bouk. Le religieux le rassure et lui recommande de ne jamais plus entretenir cette fausse image puisqu’il ne possède aucune similitude avec ce monstre destructeur. Il lui propose de le raccompagner chez lui et ceux-ci découvrent le géant assis dans un champ de fleurs en grande conversation avec une abeille. L’insecte vient de lui apporter un échantillon du miel de sa ruche et le Connient se lèche consciencieusement le doigt en avouant ensuite qu’elle a raison de prétendre qu’il s’agit du meilleur miel de la planète. L’abeille s’envole fièrement et Gad montre un autre doigt dressé devant lui en disant qu’il a demandé à la petite cueilleuse de bien vouloir lui laisser un autre échantillon pour son fils. Ba-Fon se jette joyeusement dans les bras du géant qui rougit timidement d’avoir employé ce nom pour la première fois. Minote fait un clin d’œil à l’enfant et s’éloigne discrètement. Le géant qui vient d’employer le mot « fils », décide que c’est ainsi qu’il présentera Ba-Fon aux membres de sa race lorsqu’il visitera bientôt ses frères et sœurs. Il songe même retourner vivre là-bas puisqu’il vient de terminer le dernier voile du temple. Gad transmet ses traditions à son fils adoptif et lui enseigne une foule de choses sur la Nature. Il lui demande par exemple de s’imaginer être une fleur des champs et de lui décrire tout ce qui l’entoure comme le ferait la petite fleur pour qui la réalité est si différente des animaux et des humains. Il croit que Ba-Fon apprendra le respect de cette nature en se plaçant justement dans la peau d’une fleur, d’un arbre, d’un caillou ou d’une simple goutte d’eau. Il lui explique également comment reconnaître les signes que la Nature donne lorsqu’elle a l’intention de faire quelque chose. Elle peut aussi bien décider qu’une vallée va devenir une étendue d’eau ou encore qu’une autre région ne sera plus un sol fertile. Il mentionne que si les Connients ne tiennent pas compte de ces changements climatiques et écologiques, ils risquent de faire la même erreur que les Terriens lorsqu’ils parlent de leurs pauvres pays. Certains habitants ont vu leurs sols fertiles du début se transformer en véritables déserts par la suite sans pouvoir cependant changer de territoires sans provoquer des conflits avec leurs voisins; ils appellent cela des frontières. Mais est-ce que la Nature et les oiseaux s’intéressent aux lois humaines et de leurs conventions sociales? Les oiseaux n’ont nul besoin de permission pour traverser les frontières, et la Nature ne demandera jamais à des habitants s’ils veulent lui laisser prendre un coin de leurs pays pour maintenir son équilibre. Gad explique à son élève que la liberté des êtres ne devrait pas se limiter à manger pour survivre, mais plutôt jouer un rôle plus grandiose comme cette petite chenille qui deviendra un jour un joli papillon; car rien n’indique dans son état naturel avant transformation qu’elle le fera un jour. Le géant compare les Terriens à des papillons qui ont perdu le sens de la liberté lorsque leur appétit devint plus gros que leur faim réelle. Ils ne se contentent plus de quelques feuilles pour se nourrir mais exigent l’arbre au complet. Des milliers de petites chenilles naissent et doivent de contenter des tiges, ce qui les empêchent de grandir normalement, et d’autres encore plus fragiles se feront jeter en bas d’une feuille par d’autres chenilles mieux placées sur l’arbre qui refusent de partager avec elles. Ces voraces craignent tellement de manquer de nourriture qu’elles préfèrent laisser pourrir plusieurs feuilles plutôt que les offrir aux affamées. Malheureusement, ces guerres pour contrôler l’arbre éloignent les chenilles de leur véritable destinée; se confectionner un cocon dans le but de renaître ensuite en papillon. Comme elles sont occupées à faire la guerre, elles ignorent donc comment voler d’une fleur à l’autre dans ce pré de la vie et se plaignent de ramper sur leurs feuilles. Pourtant, plusieurs d’entre elles, bien que leur instinct leur dicte qu’elles seront destinées un jour à devenir des papillons de la liberté, mourront sans comprendre pourquoi les papillons ont des ailes et pourquoi les chenilles elles, rampent difficilement sur une planète aussi belle qu’Arkara. Le géant décide d’arrêter son discours lorsqu’il voit une larme briller aux yeux doux de l’enfant qui le fixe intensément. Alors, il le berce en silence.

Le teinturier aime bien passer des heures assis devant la rivière et prétend en riant qu’il s’amuse à compter les gouttes d’eau dans celle-ci. Ba-Fon sourit lorsque le géant trouve une raison amusante pour expliquer son amour de la Nature. Un après-midi tout de même, juste avant que le Cœur royal plonge le canton dans la nuit, le regard du teinturier est attiré par des formes qui semblent se mouvoir sous l’eau. On aurait dit trois sphères collées l’une sur l’autre. Celles-ci disparaissent rapidement au fond de la rivière et Ba-Fon saute aussitôt à l’eau sans avertissement comme si son intuition l’obligeait à suivre le déplacement de ces bulles. Gad le regarde nager sous l’eau et doit admettre que son fils semble aussi à l’aise dans cet élément qu’un véritable poisson. Le nageur plonge jusqu’au fond de la rivière où déjà des sphères sans vie ressemblent à des œufs transparents sur un nid d’algues. Deux bulles noires cessent de sucer l’énergie vitale d’une consœur luminatisienne dès qu’elles remarquent la présence de Ba-Fon. Elles relâchent leur prisonnière dans l’intention de s’attaquer à l’intrus qui fait écran en plaçant ses mains devant elles pour les toucher. L’effet est radical puisque les rebelles négatives éclatent aussitôt. Ba-Fon voit alors la pauvre victime s’éteindre juste après l’avoir supplié de refermer la faille dans l’ancienne cité de verre. Il est clair que des rebelles réussissent toujours à s’introduire sur Arkara par une brèche; il faut absolument la refermer avant que d’autres Luminatisiens subissent le même triste sort.

Lorsque le garçon raconte au géant ce qu’il vient de voir, celui-ci croit prudent d’aviser aussitôt Minote de la situation mais Ba-Fon craint que le Grand-Prêtre ne puisse rien faire pour refermer cette faille. Perplexe, il ne sait comment expliquer à son père qu’il possède en lui encore plus de puissance que le Cœur royal et le Maître du destin réunis! L’enfant sait qu’il doit accomplir cette tâche mais effectivement, le teinturier refuse de le laisser s’introduire dans la Cité de malheurs bien qu’il ne l’ait jamais vue personnellement. Pour lui, la triste réputation de cet amas de verre fondu qui emprisonne des corps pétrifiés sera suffisante pour laisser une vision d’horreur indélébile dans l’esprit de son fils si sensible. Alors, il n’est aucunement question pour lui d’accorder une telle permission. Il s’assoie pour retirer un petit caillou dans une bottine et l’enfant se place devant lui pour lui dire qu’il comprend que son cœur de père veut le protéger. Cependant, son sentiment risque d’empêcher un fils d’accomplir sa mission, un acte d’amour envers des êtres qui craindront bientôt de se faire agresser par des bulles noires si la faille demeure ouverte. Ba-Fon sait qu’il risque de faire mal à Gad en lui révélant qu’il vient de la tête du destructeur qui a massacré plusieurs Connients, mais la vie de plusieurs Luminatisiens dépend de son intervention. Il décide que le moment est venu pour lui de faire quelques révélations. Il demande alors au teinturier s’il se souvient de l’incident dans l’atelier où il criait qu’il n’était pas Baa-Bouk même s’il était noir comme lui? Le géant le surprend en répondant qu’il a fort bien saisi le sens de ses paroles ce jour-là et qu’il s’est rappelé aussitôt avoir entendu Kana prétendre avoir vu la forme d’un enfant dans la tête du monstre. Ba-Fon lui répond que cette bête ne voulait pas laisser naître l’Enfant de la lumière. Le père adoptif réalise qu’il vient non seulement de connaître l’origine de son apprenti, mais sa véritable identité aussi… quelle preuve de confiance! Il se redresse sur ses genoux et serre son fils en pleurant d’émotion. Le Connient le croit et se réjouit d’avoir eu la bonne intuition lorsqu’il prétendit que la mère de son jeune apprenti devait être la plus belle des fées au monde. Ba-Fon réalise de son côté que son père adoptif sait beaucoup de choses sur Kana, Anak, Mercéür, Osis et bien d’autres Maîtres que d’autres Arkariens, probablement à cause de sa discrétion naturelle. Sur Terre, on emploierait sans doute l’expression : « Gad vit dans les secrets des dieux! ».

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